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Du droit à l’étude et au boycott d’Israël

Par le comité de rédaction de Yaani.


Les chercheuses et les chercheurs travaillant sur Israël, collaborant avec des collègues israélien·nes, doivent être libres d'adopter une grille de lecture coloniale et de soutenir le boycott universitaire qui vise les institutions israéliennes.


Un soldat israélien prend une photo devant la bibliothèque de l’Université al-Aqsa à Gaza, qu'il a incendiée.

Photo partagée par Younis Tirawi


Il n'est plus possible de nier qu'Israël est engagé dans des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l'humanité et des actions génocidaires” affirme l’historien israélien Omer Bartov dans une longue analyse publiée dans The Guardian. Quelques semaines auparavant, la rapporteure spéciale de l’ONU sur les Territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, témoignait de l’existence de « motifs raisonnables » de croire qu’Israël a commis « plusieurs actes de génocide » à Gaza. 


Ces déclarations, comme les autres rapports qui alertent depuis plusieurs mois sur les crimes perpétrés dans la bande de Gaza ne semblent pas suffire pour imposer ce narratif, à l’instar de l’ordre du 26 janvier 2024 de la Cour Internationale de Justice qui a reconnu un risque plausible d’un génocide, ou de la déclaration publique signée dès le 17 octobre 2023 par huit cents universitaires spécialistes des conflits et des génocides.


Les dirigeants israéliens et leurs soutiens en Occident s’activent pour protéger l’image d’Israël et sa politique menée à l’encontre des Palestinien·nes, sous couvert de lutte contre le Hamas, de libération des otages et de défense d’un bastion des droits humains qui porte en lui les échecs de sa propre démocratie fantasmée.


La solitude d’Israël


Faire de la recherche sur Israël-Palestine avant le 7 octobre 2023, c’était étudier un colonialisme de peuplement, une société israélienne fracturée, une société palestinienne opprimée et un territoire fragmenté. Désormais s’ajoutent les actes génocidaires de l’État d’Israël auxquels une majorité de la société israélienne s’est ralliée : plus de quarante mille victimes recensées ; 1,9 million de déplacé·es qui vivent dans des conditions catastrophiques ; la famine comme arme de guerre ; un centre de torture pour des civils arbitrairement arrêtés ; la destruction de la totalité des universités ;  un record de meurtres de journalistes et l’interdiction d’accès de la presse internationale à la bande de Gaza.


Un seuil a été franchi. Comme l’exprime David Hearst, rédacteur en chef de Middle East Eye, « Israël est devenu non pas le foyer d’un peuple assailli et persécuté dans le monde entier depuis des millénaires, mais le Fort Knox du suprémacisme juif, l’héritier naturel des suprémacistes blancs ». À travers le monde, les campus universitaires ont compris les enjeux du droit à l’autodétermination du peuple palestinien : pendant plusieurs semaines, des étudiant·es ont organisé une solidarité juste et rebelle face à des autorités capables d’envoyer la police pour déloger leurs campements. 


Les réponses autoritaires des gouvernements qui soutiennent Israël, l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme, ainsi que la hasbara israélienne n’y feront rien. Les témoignages des Gazaoui·es sur les réseaux sociaux, le flux continu d’images  de corps sortis de charniers, la violence coloniale en Cisjordanie qui s’intensifie chaque jour, les soldat·es israélien·nes humiliant, tuant et déshumanisant des Palestinien·nes marquent les esprits et finissent de faire basculer ce dont Israël est désormais le nom : un État auteur de crimes génocidaires.


Nous assistons désormais à la solitude d’Israël. Dans une tribune au New York Times, l’éditorialiste Peter Beinart parle d’une « grande rupture » au sein du judaïsme étasunien qui jusqu’à présent alliait libéralisme et sionisme. Un appel auquel se joint Naomi Klein qui plaide pour un « exodus du sionisme » afin de se « libérer d’un projet qui commet un génocide en notre nom ». 


Un champ d’étude bouleversé


Lorsque les chercheur·ses sont invité·es à s’exprimer dans les médias, iels doivent suivre des prescriptions liées à la polarisation caricaturale des sujets de recherche qui traversent la presse, la radio, les plateaux télévisés et les réseaux sociaux. D’un côté, les spécialistes des terrains palestiniens se confrontent à des interrogations quasi exclusivement autour du Hamas et de la légitimité de la résistance armée. De l’autre, les spécialistes de la société israélienne sont interrogé·es quasi exclusivement sur les oppositions au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, comme à vouloir mettre en avant l’image d’Israël présenté en tant qu’État démocratique avec une société civile dynamique, mobilisée contre la guerre. Ces échanges véhiculent une vision manichéenne des deux sociétés. Si nous défendons la pratique d’une recherche entre le fleuve et la mer, le discours médiatique assimile les chercheur·es à leur terrain d’enquête et les oblige à s’ériger en garants moraux des sociétés sur lesquelles iels travaillent.


Plus que jamais, la question des termes et des notions assimilé·es à la situation israélo-palestinienne prend son importance, car c’est par ces différentes expressions que la recherche française est divisée, au même titre que les médias occidentaux. À l’instar de la guerre génocidaire d’Israël à Gaza, de nombreux termes n’ont jusqu’ici pas fait consensus au sein des cercles intellectuels : parler de Palestine de 1948 (Israël), de Palestine de 1967 (Cisjordanie, Jérusalem Est et Gaza), des Palestinien·nes de 1948 (citoyen·nes d’Israël ou “Arabes Israélien·nes”), de régime d’apartheid imposé par l’État d’Israël sur les populations palestiniennes, ou de la colonialité du sionisme.


Dans ce contexte, faire de la recherche critique sur la société israélienne se heurte à des obstacles majeurs. La diabolisation des sciences sociales, de la sociologie tout particulièrement, empêche de produire des analyses complexes, systématiquement accusées de vouloir justifier soit les actes violents commis par des Palestinien·nes, soit l’idéologie sioniste analysée. Le prisme colonial, pourtant assumé dans les sciences sociales anglophones et historiquement adopté dans les travaux scientifiques en arabe, peine encore à s’imposer en France, même si sa diffusion est en forte augmentation.


A l’inverse, le paradigme dit du « conflit national », qui voudrait que deux mouvements nationaux symétriques luttent sur le même territoire, continue d’inspirer des analyses aussi consensuelles qu’inappropriées. Les médias grand public font la part belle à cette approche et reproduisent ainsi une normalisation des savoirs sur Israël qui, loin d’être neutre ou apolitique, est le produit même de la doxa sioniste.


Pour un débat scientifique libre et respectueux


Malgré les nombreuses attaques ayant visé les spécialistes de la société palestinienne, ces dernier·ères sont solidaires entre elleux et soutenu·es par les réseaux de chercheur·es travaillant sur le monde arabe. Il existe des espaces solides, quoique marginalisés, où les études palestiniennes peuvent exister. Ce n’est pas le cas parmi les spécialistes d’Israël et des études juives. 


Ce milieu, fracturé en son sein par l’opposition à peine caricaturale entre sionistes et antisionistes, se déchire depuis le 7 octobre 2023. Le résultat est le rétrécissement de l’espace, déjà fort réduit, de production et d’expression d’une parole critique sur Israël. Comme si travailler sur la société israélienne revenait automatiquement à cautionner la politique israélienne. Comme si mener des recherches en Israël, parler l’hébreu et collaborer avec des collègues israélien·nes était incompatible avec l’adoption d’une grille de lecture coloniale et des positionnements politiques tels que le soutien du boycott universitaire. 


Cette situation menace les libertés académiques et entrave la carrière des chercheur·es spécialistes d’Israël, qui n’ont pas ou plus de cadre institutionnel pour les accompagner dans leurs enquêtes de terrain et dans la valorisation de leurs travaux en France. Les jeunes chercheur·es, dans la situation de précarité généralisée que connaît le monde de la recherche française, en sont les premières victimes.


C’est pourquoi, après l’impossible neutralité que nous avions déclarée en décembre 2023, nous affirmons notre attachement à un lexique continuellement mis à jour afin de diriger au mieux notre ligne éditoriale vers ce que nous considérons juste pour définir le fait colonial israélo-palestinien. Voilà ce sur quoi le débat scientifique doit pouvoir porter, en délaissant les anathèmes ou faux procès visant à porter atteinte à la qualité des chercheur·es et à les soumettre à différentes formes de censure au sein des institutions françaises.


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