top of page
Rechercher
Nassim Aissou

Du droit à la résistance des Palestiniens

Par Nassim Aissou, Diplômé d’un Master Géopolitique et Relations Internationales de l’Institut Catholique de Paris et de Université Saint-Joseph de Beyrouth


Alors que le droit international reconnait la légitimité du recours à la violence armée pour les

peuples opprimés, les Palestiniens se confrontent à la criminalisation et la mise sous condition de toute résistance non-violente. En imposant, par principe, la primauté à la sécurité d’Israël, le débat occidental empêche d’aborder sereinement les enjeux sémantiques et éthiques autour du droit inaliénable à résister au colonialisme.


Fedayins palestiniens. Photo prise dans les années 1960


La conscience occidentale conditionne le droit du peuple palestinien à l’autodétermination à l’acceptation de la primauté du droit à la sécurité d’Israël, ainsi qu’à la reconnaissance de son droit « naturel » et « indéfectible » à se défendre. En d’autres termes, le droit des Palestiniens à un Etat n’est jugé acceptable qu’en garantissant l’existence et la sécurité de l’État israélien, induisant de facto une hiérarchie des aspirations de ces deux populations.


Pléthore de déclarations de responsables politiques témoignent de cette posture. Le 12 octobre 2023, le Président français Emmanuel Macron rappelait son attachement au « droit légitime [d’Israël] à se défendre ». Il en est de même du côté de la diplomatie française qui affirme sur son site : « Depuis plus de 70 ans, [la France] défend le droit d’Israël à exister et à vivre en sécurité ainsi que sa pleine appartenance à la communauté des nations souveraines ». Le projet palestinien, lui, n’apparaît qu’au paragraphe suivant dans les termes qui suivent : « la France est aussi l’amie des Palestiniens et soutient la création d’un État palestinien (conformément à la solution à deux États que soutient Paris), vivant dans des frontières sûres et reconnues ». En revanche, cette existence est conditionnée à un prérequis : la sauvegarde de l’intégrité d’Israël, puisque l’État Palestinien ne saurait s’établir qu’en « sécurité aux côtés d’Israël », et entièrement démilitarisé.


Cette conditionnalité mise à la légitimité du projet national palestinien impacte nécessairement la lutte des Palestiniens pour l’autodétermination, comprenant le droit, pourtant garantie par la charte des Nations unies, à la résistance armée.


« Terrorisme » : un débat incontournable autour de la sémantique


Certaines organisations régionales, comme l’Union européenne (UE), ont posé un cadre normatif permettant la désignation et la classification d’organisations terroristes : par exemple le Hamas ou la branche militaire du Hezbollah libanais sont considérés comme des groupes terroristes par l’UE, qui peut ainsi prendre des sanctions et des mesures contre le groupe et ses membres sur la base de cette qualification.


En revanche, d’autres institutions internationales n’ont toujours pas adopté de définition consensuelle, à l’instar des Nations Unies. Si le terme suscite de nombreuses réflexions en droit international, celles-ci n’ont pas pour le moment débouchées sur un cadre normatif faisant consensus à l’international. En ce sens, Amnesty International explique qu’elle refuse l’usage du terme « terrorisme », car « il sert dans la pratique à désigner des comportements totalement différents » et que « les États et les observateurs qualifient de ‘‘terroristes’’ les actes ou les motivations politiques auxquels ils sont opposés, tout en rejetant l'utilisation de ce terme quand il s'applique à des activités ou à des causes qu'ils soutiennent ». Ainsi, les difficultés à codifier ce terme réside aussi dans l’absence de volonté : un certain nombre d’États occidentaux s’inquiètent par exemple de voir un jour leurs actions être considérées comme du terrorisme.


Ainsi, en s’accordant sur l’idée que le terrorisme regrouperait les actions qui visent indistinctement civils et militaires dans le but de terroriser, alors cela vaut factuellement autant pour l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas que pour ce que vivent les Palestiniens dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Or, la caractérisation d’une action se fait aussi en fonction de l’acteur qui en est à l’origine. Concernant le 7 octobre, du point de vue palestinien et du « Sud global », à quelques exceptions près, l’opération est présentée en premier lieu comme une « offensive militaire » pouvant se prévaloir du droit à la résistance armée. À l’inverse, le placement du Hamas sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne et des États-Unis ont conduit à poser la condamnation de l’attaque comme une injonction préalable à toute discussion.


En clair, la notion de terrorisme est liée à une approche subjective de la définition donnée à ce terme et repose davantage sur un cadre juridique au niveau national, les législations de chaque État définissant et encadrant ce terme dans leur système juridique. Dès lors, il est tout à fait possible d’estimer que les attaques du 7 octobre sont des actes de nature terroriste, tout en refusant de qualifier les groupes palestiniens, y compris le Hamas, d’organisation terroriste en soit. Ces deux niveaux de perception distinguent les actes de l’organisation qui les commandite. Une distinction d’autant plus importante que le « terrorisme » est considéré par certaines organisations comme faisant partie intégrante du champ des actions politiques.


Par ailleurs, qualifier une organisation de terroriste découle d’un positionnement politique non neutre, qui peut s’avérer contreproductif dans l’optique d’un règlement futur des différends, encore plus s’agissant de conflits armés internationaux, comme c’est le cas de l’espace israélo-palestinien avec le Hamas, voire du Liban avec le Hezbollah.


Légitimité et droit à la résistance armée


Durant la décennie 1960, en pleine période de décolonisation en Afrique et en Asie, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté plusieurs résolutions telles que la résolution 1514 du 14 décembre 1960, dite « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », affirmant que les peuples soumis à des régimes coloniaux, racistes ou étrangers ont le droit de réaliser leur autodétermination.


Le droit à l’autodétermination, déjà inscrit dans la Charte des Nations Unies, est considéré aujourd’hui comme un droit erga omnes, c’est-à-dire opposable à tous les États et toutes les organisations internationales, en tant que sujet du droit international. Bien qu’au départ elles ne traitent pas explicitement de la légitimité de la résistance armée, ces résolutions ont néanmoins affirmé le droit des peuples opprimés d’employer la force, sous certaines conditions, notamment celle de ne pas prendre pour cible directement les civils, pour contrer la négation de leur autodétermination. La résolution 2105 du 20 décembre 1965 de l'Assemblée générale des Nations Unies est particulièrement notable, car elle reconnaît « la légitimité de la lutte menée par les peuples sous domination coloniale pour exercer leur droit à l'autodétermination et à l'indépendance ».


S’agissant de la résistance armée du peuple palestinien, le sujet n’a cessé de gagner en reconnaissance entre les années 1960 et 1990. En 1970, la résolution 2649 de l’Assemblée générale des Nations Unies apporte sa pierre à l’édifice reconnaissant les droits des peuples sous « domination coloniale et étrangère » à faire usage de « tous les moyens dont ils disposent » avant de poursuivre en 1973 avec l’adoption de la résolution 3070, qui garantit dans les termes les plus clairs le droit des peuples sous « domination coloniale et étrangère et sous emprise étrangère » de lutter par « tous les moyens en leur pouvoir, y compris la lutte armée ».


Par ailleurs, le conflit israélo-palestinien entre dans la définition des conflits armés internationaux, en raison de l’occupation militaire israélienne : le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1977 dispose que « les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère » sont des conflits armés internationaux.


Dans sa résolution 45/130 de décembre 1990, l’Assemblée générale des Nations Unies mentionne expressément la lutte du peuple palestinien, considérant que « le déni des droits inaliénables du peuple palestinien à l'autodétermination, à la souveraineté, à l'indépendance et au retour en Palestine, la répression brutale de l'Intifada, soulèvement héroïque de la population palestinienne dans les territoires occupés, par les forces israéliennes, ainsi que les agressions répétées d'Israël contre la population de la région font peser une lourde menace sur la paix et la sécurité internationales ». La première intifada – soulèvement en arabe -, ayant notamment abouti à la signature des accords d’Oslo en 1993 après un cycle de près de six ans de confrontation, est donc admise par l’Assemblée générale des Nations Unies comme étant une réalisation héroïque et non condamnable.


Juridiquement sanctuarisée, la lutte armée des peuples placés sous occupation n’en reste pas moins difficilement admissible pour certains. La prédominance, dans le champ politique palestinien, d’organisations islamistes a ainsi facilité la négation de ce droit inaliénable à la lutte armée pour les Palestiniens : l’islamophobie étant devenue une opinion largement démocratisée au sein du champ politique occidentale. À cela s’ajoute des visions néocoloniales et atlantistes considérant l’État d’Israël comme partie intégrante d’un « monde libre et démocratique occidental ». Le droit à la résistance armée soulève donc en réalité une mise en opposition entre deux visions : d’un côté l’attachement profond à l’idéologie décoloniale, et de l’autre un attachement à une vision du monde façonnée par le courant néo-conservateur.


Un droit à la résistance armée garantie et encadré


Dans une interview pour VICE News de juin 2021, Yahya Sinwar, chef du bureau politique du Hamas dans la bande de Gaza, déclarait que « pendant des années, nous avons essayé la résistance pacifique », avant de poursuivre en expliquant qu’au regard de l’évolution de la situation et du danger auquel fait face le projet palestinien « nous sommes forcés de défendre notre peuple avec l’ensemble des armes à notre disposition ».


Si légitime soit-elle, cette résistance armée doit se conformer au droit international humanitaire. Ainsi, contrairement aux attaques des cibles militaires, celles dirigées contre des civils s’avèrent répréhensibles au regard du droit international et sont qualifiées de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité si elles s’inscrivent dans une attaque généralisée et/ou systématique. C’est à travers ce prisme que se doivent d’être analysées les requêtes aux fins d’émission de mandats d’arrêt du Procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, soumises le 20 mai dernier, à l’encontre des trois dirigeants du Hamas : Ismaël Haniyeh, Yahya Sinwar et enfin Mohammed Deif.


En somme, la résistance armée palestinienne est souvent perçue à travers un prisme biaisé et inéquitable. Le soutien populaire au Hamas parmi le peuple palestinien découle d’abord de son engagement à affronter l'armée israélienne contre l'occupation et les injustices qui en découlent. Une popularité qui souligne une réalité fondamentale : la lutte armée est perçue par les Palestiniens comme un dernier recours face à l'absence de solutions politiques jugées justes et efficaces. Ainsi, la marginalisation des organisations prônant la lutte armée ne peut se réaliser sans l’établissement d’un processus politique qui assure la protection des Palestiniens, le respect de leurs droits inaliénables tel que le droit au retour, ainsi que la reconnaissance de leurs souffrances. En somme, reconnaitre et soutenir les aspirations légitimes du peuple palestinien à l'autodétermination et à la justice.


 

bottom of page