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La Palestine au Parlement européen en vue du scrutin du 9 juin 2024

Dernière mise à jour : 13 juin

Par Yoav Shemer-Kunz, membre du comité de rédaction.


L’article analyse la manière dont la guerre menée par Israël depuis le 7 octobre 2023 a fait bouger les lignes politiques des listes électorales européennes en France et comment ces positions se reflètent — ou non — au sein de leurs groupes politiques transnationaux respectifs. Il se focalise sur la gauche française, avec trois listes qui appartiennent à trois familles politiques ayant des sièges au Parlement européen dans la législature 2019-2024 et qui prennent position sur la question palestinienne : la gauche radicale, les écologistes et les socialistes.


Photo : Yoav Shemer Kunz

 

Les règles du jeu des élections européennes en France

 

Les élections européennes sont en réalité 27 élections nationales simultanées. Dans chaque État membre de l’Union Européenne (UE), les citoyen·nes votent pour leurs représentant·es au Parlement européen (PE) à partir de différentes listes nationales, et non européennes. En France, citoyen·nes français·es, ainsi que résident·es de l’UE du pays, sont appelé·es à élire, par le suffrage universel direct, les 81 eurodéputé·es du Parlement attribués à la France, parmi les 720 sièges de la législature 2024-2029.


Les élections européennes en France se déroulent selon un système de scrutin de liste à la proportionnelle, à un seul tour, avec une circonscription unique : toute liste dépassant les 5 % des suffrages obtient un nombre de sièges proportionnel à son nombre de voix. Ce mode de scrutin permet même aux petits partis politiques d'obtenir des sièges. Le Parlement européen a un rôle législatif et budgétaire ainsi qu’une fonction de contrôle de l’exécutif. Même si les eurodéputé·es élisent le ou la président·e, la composition du Parlement européen n'a pas d'impact direct sur la Commission européenne. Les électeur·ices peuvent plus librement exprimer leurs convictions politiques, sans calcul stratégique ou « vote utile ».


Une fois élu·es, les 81 député·es français·es rejoignent l’un des sept groupes politiques du Parlement européen — à l’exception des non-inscrit·es (NI). Ces groupes transnationaux sont constitués par affinités idéologiques et sont composés des différentes délégations nationales appartenant à la même « famille politique ». Les socialistes français·es siègent avec le groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), tandis que les Républicains dépendent du Parti Populaire Européen (PPE). Les écologistes français·es sont affilié·es au groupe européen des Verts et La France Insoumise (LFI) est associée au groupe de La Gauche, appelée The Left. Ces groupes parlementaires européens sont chargés de négocier les résolutions et les rapports du PE, ainsi que la répartition des postes au sein de l'institution. Les délégations nationales suivent en général la ligne de leur groupe politique lors des votes, mais face à la guerre menée par Israël, les polarisations politiques créent des frictions à toutes les niveaux du Parlement européen, du positionnement individuel au compromis entre familles parlementaires en passant par les désaccords au cœur du même parti.

 

La France Insoumise-Union populaire — menée par Manon Aubry


La Palestine est mentionnée dès l’introduction du programme de la France Insoumise (LFI) pour les élections européennes du 9 juin 2024. La liste menée par Manon Aubry affirme que « la commission européenne et sa présidente Ursula Von der Leyen sont coupables du soutien inconditionnel à la politique criminelle de Netanyahu contre les Palestiniens ». Il propose plusieurs mesures concrètes telles que la suspension de l’accord d’association entre l’UE et l’État d’Israël tant que l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens perdureront ; la mise en place d'un embargo sur les armes envoyées par les États de l’UE à Israël ; la saisie de la Cour pénale Internationale (CPI) pour juger l’ensemble des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis durant le conflit israélo-palestinien ; et la reconnaissance de l’État de Palestine.


Au-delà de leur programme, la position éligible (septième sur la liste) de Rima Hassan sur la liste constitue une prise de position radicale. Cette juriste d'origine palestinienne, connue en France pour son engagement en faveur de la cause palestinienne, pourra ainsi faire entendre sa voix pour la libération de la Palestine. LFI détient actuellement six sièges au Parlement. Il est possible que sa présence sur la liste des Insoumis·es soit une stratégie électorale, mettant en avant une candidate médiatique connue. Sa nomination a été récupérée par les violentes polémiques qui animent les médias depuis le 7 octobre 2023. Rima Hassan fait partie des personnalités politiques convoquées par la police française pour « apologie du terrorisme », dans la logique du gouvernement français qui tente de limiter la liberté d’expression en confondant volontairement antisionisme et antisémitisme, ainsi que défense des droits fondamentaux du peuple palestinien colonisé et « apologie du terrorisme ». Si Rima Hassan est élue le 9 juin, elle sera une eurodéputée pleinement investie et engagée sur la question palestinienne.


Au parlement européen, LFI fait partie du groupe parlementaire de la gauche. Lors du débat plénière du 19 octobre 2023, The Left a demandé un cessez-le-feu immédiat, une position qui n'a pas été adoptée par le Parlement. Le manifeste électoral du groupe de la gauche européenne pour les élections 2024 a la même position que LFI sur la question palestinienne, déclarant qu’Israël doit cesser sa « guerre barbare » et respecter les décisions de la Cour Internationale de Justice (CIJ). Le manifeste précise que « le peuple palestinien doit voir garantir son droit à l’autodétermination dans un État indépendant et viable aux côtés d’Israël, dans le respect des frontières de 1967 ». Dans un communiqué de presse du 15 mai 2024, la gauche européenne se déclare clairement pour la reconnaissance immédiate de l’état palestinien. Le programme électoral exige de mesures concrètes de la part de l’UE pour y arriver, comme des « sanctions économiques et politiques effectives pour faire pression sur le gouvernement israélien ». LFI est en phase avec la position de la gauche européenne, qui préconise également des sanctions économiques et politiques efficaces contre le gouvernement israélien.


The Left, qui comprend LFI en son sein, est activement engagée pour la défense de la Palestine en participant activement à la Délégation parlementaire avec la Palestine (DPAL), une instance similaire à un groupe d'amitié UE-Palestine au sein du PE. La DPAL est aujourd’hui présidée par Manu Pineda, un eurodéputé de Izquierda Unida, « la gauche unie », un parti espagnol membre de The Left. Les autorités israéliennes ont interdit à Pineda d'entrer en Israël, en mai 2022, puis à nouveau en février 2023, l'empêchant de participer aux visites organisées par la délégation qu'il préside. Cette situation illustre l'engagement de ce groupe parlementaire envers la Palestine, mais aussi sa marginalisation et son impuissance au sein du Parlement européen. En outre, une autre membre de la même délégation, Ana Miranda, eurodéputée espagnole affiliée au groupe des Verts, a également été interdite d'entrée en Israël en février 2023. The Left et le groupe des Verts adoptent en effet souvent des positions similaires au sein du PE.

 

Les Écologistes, Europe Écologie Les Verts – menée par Marie Toussaint

 

Le programme des Écologistes français·es préconise des sanctions économiques, diplomatiques et politiques contre Israël, telles que l'arrêt des exportations d'armes ou la suspension de l'accord d'association, ainsi que la reconnaissance de l'État de Palestine au niveau européen, des positions relativement similaires à celles défendues par LFI. L'eurodéputé Mounir Satouri, classé quatrième sur la liste des écologistes, critique ouvertement l'État d’Israël et exprime régulièrement au Parlement une ligne politique similaire à celle de la gauche radicale.


Les Écologistes français·es font partie du groupe des Verts au Parlement. Dans les quarante-six pages de leur manifeste électoral, les Verts européens évoquent le « conflit au Moyen-Orient » dans un court paragraphe. En dehors de cet euphémisme géographique, ils y expriment leur soutien général à la solution à deux États et appellent au respect des décisions de la Cour Pénale Internationale et de la Cour Internationale de Justice sur cette question.


Lors du débat en plénière au PE le 18 octobre 2023, Philippe Lambert, co-président du groupe des Verts au PE et membre du parti Vert belge en Wallonie, a plaidé en faveur d'un cessez-le-feu humanitaire immédiat. Cependant, son propre groupe politique n'a pas soutenu cette position dans son projet de résolution, mettant plutôt l'accent sur le droit d'Israël à se défendre et soulignant l'importance de respecter le droit international humanitaire. Le groupe parlementaire reste donc divisé et timide dans ces prises de position, se rabattant sur les différentes institutions internationales de droit, à qui ils délèguent leur indécision. Bien que les Verts français appellent également à des mesures concrètes contre l'État d'Israël, assez similaires à celles soutenues par LFI et la gauche européenne, la famille politique écologiste au niveau européen ne suit pas leur ligne politique.

 

Réveiller l’Europe - menée par Raphaël Glucksmann

 

Pour le scrutin 2024, le Parti Socialiste (PS) et Place Publique se sont alliés avec pour former une liste commune « Réveiller l’Europe », menée par Raphaël Glucksmann. Les propositions de cette liste ne mentionnent pas le conflit palestino-israélien. Dans le programme électoral de la liste menée par Glucksmann, qui compte 45 pages, la question palestinienne n'est abordée qu'une seule fois en bas de la page 34, de manière succincte et peu précise : « La liste exprime son soutien au respect du droit international et des droits humains dans le conflit, ainsi qu'à la reconnaissance de l'État palestinien et à la solution à deux États ». Plus concrètement, le programme appelle à « un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza, ainsi qu'à la libération inconditionnelle des otages israéliens détenus par l'organisation terroriste Hamas ». « Réveiller l'Europe » s’en tient donc aux déclarations consensuelles.


Au Parlement européen, les deux partis de la liste « Réveiller l'Europe » sont membres des Socialistes et Démocrates (S&D). Ce groupe a adopté une position relativement claire sur la question palestinienne, rejoignant The Left et en plaidant dès la mi-octobre en faveur d'un cessez-le-feu immédiat dans son projet de résolution, ce qui correspond à la position défendue par les député·es LFI.


En plus des S&D, le PS est membre d'une fédération européenne de partis sociaux-démocrates, le Parti Socialiste Européen (PSE). Ce dernier a adopté une approche plus vague sur cette question dans son manifeste électoral. Le PSE appelle à relancer le « processus de paix » en organisant une conférence de paix internationale pour parvenir à un accord équitable entre Israélien·nes et Palestiniennes, prévoyant la création de deux États.

 

Panorama politique


Au terme de ce panorama politique, on constate que les listes LFI et Europe Écologie affichent toutes deux une position explicite sur le conflit en Palestine-Israël, en préconisant des mesures concrètes contre l'État d'Israël. En revanche, la liste menée par Raphaël Glucksmann adopte une position moins claire sur cette question, tout comme les les socialistes au niveau européen.

 


 

Opposition ou compromis ?

 

Les positions de la gauche française et européenne, ainsi que celles des écologistes français·es, sont assez similaires autour de la question palestinienne. Il convient cependant de souligner une différence stratégique majeure entre The Left et les Verts au Parlement européen. Les Verts européens, souvent en collaboration avec les socialistes, voire avec les libéraux du centre politique, négocient avec les groupes de droite pour gagne en influence et modifier les textes finaux des résolutions adoptées par le Parlement. Après les événements du 7 octobre 2023, le Parti populaire européen (PPE), groupe conservateur de droite qui a actuellement la majorité au PE, a exprimé un soutien total à Israël, en affirmant son droit légitime à l'autodéfense, sans égard au droit international. Après négociation, la résolution adoptée presque à l’unanimité, avec 500 voix pour, 20 contre et 24 abstentions, reflétait le compromis initial des libéraux et des Verts : reconnaître à Israël le droit à l'autodéfense tout en respectant le droit international humanitaire.


La position officielle du Parlement européen résulte de négociations souvent ardues entre les différents groupes politiques. Cependant, la gauche européenne dans son ensemble, préfère ne pas participer à ces négociations, optant plutôt pour la défense intransigeante de ses positions initiales jusqu'aux votes en séance plénière — sans compromis. Avec seulement 37 sièges sur 705 dans la législature 2019-2024, leurs amendements sur la question palestinienne sont presque systématiquement rejetés en plénière. Cela leur permet de pointer du doigt leurs adversaires politiques nationaux qui ont accepté telle ou telle forme de compromis lors des négociations, de maintenir leur image publique en tant que défenseurs de la cause palestinienne au sein de l’institution, mais aussi de faire avancer le débat public sur cette question.

 

Des pays européens divisés à l’image de leur familles politiques transnationales

 

A l’image des pays membres de l’Union européenne, le Parlement européen est très divisé autour de la question palestinienne. Cette division approfondit non seulement les dissensions traditionnelles entre la gauche et la droite, mais aussi celles présentes à l’intérieur des groupes politiques européens. Les dynamiques parlementaires concernant le conflit israélo-palestinien semblent être davantage dictées par des loyautés nationales qu'européennes : au sein de chaque groupe politique européen se dessine une division significative entre les délégations nationales. Un conseiller politique au PE (entretien du 16 mai 2024 avec l’auteur) a résumé cette division en une opposition entre les délégations allemandes et les autres nationalités, quel que soit leur groupe politique. La position traditionnelle des partis allemands est de soutenir Israël. Or le parti allemand Bündnis 90-Die Grünen, Alliance90-Les Verts, détient un nombre considérable de sièges du groupe des Verts au PE, avec 25 eurodéputé·es sur 72 pour la législature 2019-2024. Ce poids politique pourrait expliquer la position peu critique du groupe vis-à-vis de l'État d’Israël au niveau européen.


Un conseiller d’Europe Écologie a partagé une observation similaire (échange de messages avec l’auteur le 17 mai). Le parti social-démocrate allemand, Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD), est le principal défenseur de la position de l’État d'Israël au sein des S&D, suivi par les délégations autrichienne et polonaise. Ces entretiens avec des membres du PE rappelle le poids démographique et donc politique des membres de l’UE comme l’Allemagne dans le jeu parlementaire, puisque le nombre de sièges par pays est attribué proportionnellement à sa population (avec un minimum de six sièges pour le États membres les moins peuplés). La France est le deuxième pays représenté au sein du Parlement, derrière l'Allemagne qui dispose de 96 sièges.


À cette complexité politique au sein des groupes parlementaires, il convient d'ajouter que le Parlement européen est dominé par la droite depuis 2019. En conséquence, les résolutions parlementaires sont peu critiques à l'égard des crimes de guerre commis par l’État d'Israël. La question est de savoir si la polarisation politique autour de la guerre menée par Israël à Gaza et la colonisation meurtrière en Cisjordanie va jouer sur la nouvelle majorité parlementaire issue des élections du 9 juin 2024.

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