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La position de la CIJ sur le conflit israélo-palestinien

Dernière mise à jour : 25 avr.

Par Insaf Rezagui, membre du comité de rédaction.


Dans ce nouvel article de la série “La Palestine, tombeau du droit international ?”, nous revenons sur le rôle de la Cour internationale de Justice (CIJ) dans la résolution du conflit israélo-palestinien.  


La Cour internationale de Justice, qui a son siège à La Haye aux Pays-Bas, est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies. Son rôle est de trancher les différends juridiques qui lui sont soumis par les États (fonction contentieuse dont les arrêts rendus sont obligatoires et contraignants) et de rendre des avis consultatifs à la suite de questions juridiques posées par des organes ou des institutions spécialisées des Nations Unies (fonction consultative dont les avis n’ont pas de force obligatoire) au titre de l’article 96 de la Charte des Nations Unies. L’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) est l’organe onusien qui a le plus interrogé la Cour depuis sa création. Dans le conflit israélo-palestinien, les deux demandes d’avis (l’Affaire du Mur en 2004 et l’Affaire de la poursuite de l’occupation israélienne en 2023-2024) ont été adressées à la Cour par l’AGNU.


La Cour Internationale de Justice. Photo : Assia Rezagui


La mobilisation de la Cour internationale de Justice s’inscrit dans le cadre de la stratégie de recours aux organisations internationales et au droit international portée par l’Autorité palestinienne (AP) depuis vingt ans. L’objectif de l’AP est de replacer la question palestinienne au cœur de l’agenda international, de faire valoir les violations persistantes du droit international par la puissance occupante israélienne et, surtout, de parvenir à l’établissement et à la reconnaissance d’un État de Palestine. Avec cette stratégie, la Palestine a déjà rejoint une vingtaine d’organisations internationales (UNESCO, Interpol, CPI …), a ratifié une centaine de traités multilatéraux (dont le Statut de la Cour pénale internationale) et déploie un véritable processus de juridicisation, avec le recours aux juridictions internationales. Parmi ces juridictions, la Cour internationale de Justice constitue le cœur de ce processus. 


L’objectif de la saisine des juridictions internationales par l’Autorité palestinienne et ses alliés est alors de mettre en exergue le cadre juridique inhérent à ce conflit, d’affirmer juridiquement le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et de mettre en avant l’ensemble des violations du droit international par Israël afin d’engager sa responsabilité internationale. 


C’est en ce sens que de nombreux dossiers ayant attrait à la question palestinienne ont été traités ou sont actuellement traités par la Cour. Parmi ces affaires, deux sont centrales de cette stratégie : l’affaire du Mur en 2004 qui a permis à l’Autorité palestinienne de prendre conscience du rôle que pourrait avoir le droit international dans ce conflit et l’affaire en cours portant sur les conséquences juridiques de la persistance de l’occupation militaire israélienne du territoire palestinien sur le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Ces deux affaires sont essentielles pour comprendre le cadre juridique applicable à ce conflit et les règles pertinentes qui doivent s’appliquer. 


La première affaire - celle du Mur - acte les prémices du processus de juridicisation de l’Autorité palestinienne. Pour la première fois, une juridiction internationale établit de manière précise le cadre juridique inhérent à ce conflit armé international, se prononce sur le droit à la légitime défense invoquée par Israël, met en exergue le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, rappelle les principes pertinents, notamment du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, et fixe les obligations juridiques qui incombent aux parties et à l’ensemble de la société internationale. Si cet avis n’a donc pas de force juridique contraignante, il n’en reste pas moins fondateur de l’établissement du régime de l’occupation israélienne en Palestine. Nous développerons ici quelques points fondamentaux de cet avis. 


  1. L’établissement de la compétence de la Cour à se prononcer sur ce conflit


Avant de se prononcer sur le fond, la Cour rappelle qu’elle est compétente pour répondre à la question de l’Assemblée générale qui était de savoir si la construction d’un mur par Israël, qui empiète largement sur le territoire palestinien, était licite. Deux arguments sont invoqués par la Cour pour justifier sa compétence.


Premièrement, la CIJ affirme que - contrairement à ce qu’affirment Israël et les États-Unis - l’Assemblée générale a bien le droit d’interroger la Cour sur le conflit israélo-palestinien et qu’elle n’a donc pas outrepassé ses compétences au sens de l’article 12 de la Charte qui stipule : « Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l’égard d’un différend ou d’une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l’Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne lui demande ». De plus, l’article 24 de la Charte rappelle que le Conseil de sécurité dispose de la responsabilité principale (mais pas exclusive) du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Or, la CIJ constate que, dans le conflit israélo-palestinien, le CSNU ne remplit pas son mandat en raison des nombreux vetos américains. De plus, la pratique onusienne permet à l’AGNU d’adopter des résolutions « dans tout cas où paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix (...) et ou, du fait que l’unanimité n’a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale » (résolution 377, dite résolution Acheson). En outre, déjà en 2004, la Cour relevait l’inaction du Conseil de sécurité. 


Deuxièmement, la Cour précise que le conflit israélo-palestinien n’est pas un différend purement politique, qui ne pose aucune question juridique. La demande de l’Assemblée générale qui est posée à la juridiction de La Haye « vise les conséquences juridiques d’une situation de fait donnée, compte tenu des règles et des principes du droit international (...) ». Dès lors, la question posée est « susceptible de recevoir une réponse fondée en droit ». 


Aujourd’hui encore, dans l’affaire pendante devant elle, la position de la Cour devrait être la même : le Conseil de sécurité ne remplit pas son mandat de maintien de la paix, en raison des veto américains, le dernier en date étant intervenu le 20 février 2024 dans un projet de résolution qui demandait un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. De plus, la question posée soulève de nombreux problèmes juridiques (droit à l’autodétermination, droit à la légitime défense, occupation, annexion, souveraineté, mesures discriminatoires contre un peuple, etc.). 


2. La question de la légitime défense


Sur le fond, la Cour répond tout d’abord à Israël qui justifiait la construction d’un mur de séparation sur la base de son droit à se défendre face aux attaques de groupes armés palestiniens (article 51 de la Charte de l’ONU). Aujourd’hui encore, Israël affirme que ses opérations militaires à Gaza et en Cisjordanie visent à répondre à une agression armée provenant de groupes armés palestiniens, dont le Hamas, dont les attaques meurtrières du 7 octobre. L’agression armée est « l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État » (AGNU, résolution 3314, 14 décembre 1974). Cependant, à aucun moment, Israël affirme qu’il répond à des violences provenant d’un autre État, car il ne reconnaît pas l’existence d’un État de Palestine. 


Si la pratique de ces dernières années plaide pour une évolution du régime de la légitime défense afin d’intégrer le droit d’un État à se défendre contre les agressions armées d’entités non étatiques, la Cour constate « qu’Israël exerce son contrôle sur le territoire palestinien occupé et que, comme Israël l’indique lui-même, la menace qu’il invoque pour justifier la construction du mur trouve son origine à l’intérieur de ce territoire (...). En conséquence, la Cour conclut que l'article 51 de la Charte est sans pertinence au cas particulier ». En somme, une puissance occupante ne peut invoquer le régime de la légitime défense dans ses rapports avec le territoire qu’elle occupe. 


3. Les règles juridiques applicables à l’occupation israélienne 


Puis, la Cour met en exergue les règles applicables à ce conflit armé international

  • Le droit international humanitaire : en tant que puissance occupante, Israël doit respecter le DIH, en protégeant les populations placées sous son contrôle. Cela veut dire que l’État hébreu doit respecter les règles prévues à la quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre de 1949. 

  • Le droit international des droits de l’homme (DIDH) : contrairement à ce que prétend Israël, le DIDH s’applique y compris en temps de conflit armé sauf en cas de clauses dérogatoires. Dès lors, Israël doit respecter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 qu’il a ratifiés. L’article 1er commun à ces deux pactes stipule : « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ». 


Sur la base de ces règles, la Cour conclut à la violation par Israël d’un certain nombre de ses obligations internationales, empêchant le peuple palestinien de s’autodéterminer. 


4. Les violations par Israël du droit international 


Les violations du droit international par Israël découlent notamment de l’adoption d’un ensemble d’actes législatifs et réglementaires israéliens. Ceux-ci s’inscrivent dans des politiques de colonisation et d’occupation mises en place et assumées par les autorités israéliennes, qui financent directement les colonies, les infrastructures et les routes permettant aux colons de s’établir et de circuler en Cisjordanie, etc. Ces politiques se font en violation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies comme la résolution 2334 du 23 décembre 2016 qui demande à Israël d’arrêter « immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé ». 


En outre, Israël peut engager sa responsabilité internationale et doit réparer les dommages causés aux Palestiniens victimes de l’occupation et de la colonisation. La Cour précise que ces réparations doivent « autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis ». Cela passe par le retrait israélien de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza, par la restitution aux Palestiniens de leurs terres et autres biens saisis et/ou par des indemnisations si la restitution n’est pas possible, et par des procédures de satisfaction (mener des enquêtes, poursuivre les personnes ayant violé ces obligations …). 


5. Les obligations opposables à tous les États


Parmi les obligations violées par Israël, certaines sont des obligations erga omnes, c’est-à-dire qu’elles sont opposables à tous les États. Parmi ces obligations, le droit à l’autodétermination des peuples et certains principes du droit international humanitaire. Dès lors, aucun État ne doit reconnaître la situation qui découle de ces violations, à savoir la construction du Mur et l’occupation et la colonisation israéliennes. Enfin, les États ont l’obligation « de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation » et doivent « faire respecter par Israël le droit international humanitaire ».


L’une des conséquences devrait logiquement être la reconnaissance par tous les États de l’État de Palestine. En effet, le droit des peuples à l’autodétermination recouvre une dimension politique : le peuple concerné doit pouvoir librement déterminer son statut politique. Dans le cas palestinien, il s’agit de la création et de la reconnaissance d’un État de Palestine. Le droit à l’autodétermination étant une obligation erga omnes, les États devraient donc la respecter et la mettre en œuvre en reconnaissant l’État de Palestine. 



Aussi, l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice rendu le 9 juillet 2004 permet de mettre en évidence le cadre juridique inhérent à ce conflit et les conséquences juridiques qui en découlent. Vingt ans après, les enjeux juridiques restent les mêmes, à la différence que l’occupation et la colonisation israélienne s’accélèrent. Entre 2000 et 2022, la colonisation de la Palestine a augmenté de 222 %. Plus de 700 000 colons sont établis en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Israël entend poursuivre ses politiques et pratiques coloniales et assume désormais de vouloir annexer l’intégralité de la Palestine, afin d’exercer sa souveraineté de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain. Le nouvel enjeu de l’avis consultatif à venir est donc de déterminer les conséquences juridiques de la permanence de l’occupation israélienne. 


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