Par Ali Awad, militant palestinien des collines à sud d’Hébron et Emily Glick, photographe.
Traduit de l’anglais par Caterina Bandini.
Des Palestiniens partagent les histoires derrière leurs blessures physiques infligées par des colons et des soldats israéliens, les histoires de leurs luttes avec la survie et la douleur, et le réapprentissage de leurs corps face à une violence sans fin.
Cet article a été publié pour la première fois le 27 juillet 2022 en anglais dans +972Magazine, et est republié dans le cadre de notre collaboration avec ce média. Les hyperliens n’apparaissent pas dans la version originale.
Mahmoud Awad dans son village de Tuba à Masfer Yatta, Cisjordanie. Photo : Emily Glick
« J’ai perdu ma vie même si je suis toujours vivant. Cloué au lit, je suis incapable de regarder mon village ou de me projeter dans le futur ».
Harun Abu Aram, 25 ans, vit dans un lit d’hôpital improvisé au milieu du désert. Il a vécu ici, dans son corps paralysé, pour 572 jours, depuis qu’un soldat israélien lui a tiré dans la moelle épinière. La famille Abu Aram, qui a construit la tente dans laquelle Harun vit maintenant, passe ses journées à travailler pour le garder en vie.
Le nettoyage ethnique de Masafer Yatta, une région située dans les collines à sud d’Hébron en Cisjordanie occupée, a subi une accélération ces derniers mois. Suite à la décision de la Cour suprême du 4 mai (2022, ndlt), qui a permis à l’État d’Israël d’entamer avec vigueur l’expulsion des habitants palestiniens de huit villages de la région pour faire place à une zone d’entraînement militaire, des bulldozers sont arrivés pour raser des douzaines de maisons.
L’armée a aussi mené un entraînement avec des armes à feu pendant un mois et l’État a augmenté le traçage des résidents et le ciblage des militants dans la région. Les huit villages situés dans la Firing Zone 918 hébergent plus de 1000 mille Palestiniens, qui vivent tous dans un cauchemar violent perpétuel.
Harun Abu Aram dans son village d'Al-Rakeez à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Cependant, l’érosion de la sécurité et de la stabilité, et le genre de violence d’État qui a paralysé Abu Aram, ont été une constante à Masafer Yatta depuis bien avant la décision de la Cour. Pendant des générations, les Palestiniens ont lutté pour survivre contre les actes violents de l’armée et des colons. Des politiques publiques explicites, dont certaines ont été mises en œuvre pendant le soulèvement populaire de la première Intifada, ont contribué à systématiser cette violence.
En janvier 1988, le ministre de la Défense de l’époque, Yitzhak Rabin, a donné l’ordre à l’armée israélienne de « briser les bras et les jambes » de ceux qui osaient résister à l’occupation. Cet ordre visait à affaiblir le soulèvement, et à ébranler les corps et la résilience de la résistance palestinienne. Trente-cinq ans après, les ordres de Rabin ont été normalisés comme une tactique pour réduire les militants palestiniens au silence et déplacer avec la force la totalité des habitants de Masafer Yatta.
Mohammed Makhamreh chez lui à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Ce sont là les mécanismes de la violence qui ont dévasté d’innombrables vies au cours de l’occupation israélienne. Contrairement à la mort, le corps blessé est à la fois une mémoire vivante du passé et un rappel quotidien des luttes pour la survie dans le temps présent. Nous allons partager les histoires d’un certain nombre de résidents de Masafer Yatta qui présentent des blessures physiques suite aux attaques de colons et soldats, afin de raconter leurs histoires de survie et de douleur, et le processus de réapprentissage de leurs propres corps face à une violence sans fin.
Khaled Al-Najjar
Il y a vingt-et-un an, pendant que je faisais paître mes moutons avec mon fils, j’ai vu un colon israélien emprunter le fusil d’assaut d’un soldat pour me tirer dans l’estomac. Dès qu’il s’est mis à genoux et a visé dans ma direction, j’ai dit à mon fils de courir car j’avais peur qu’il soit touché. Cela n’est pas arrivé, heureusement. En revanche, la balle m’a touché dans l’abdomen et depuis, ma vie n’a plus jamais été la même.
Khaled Al-Najjar dans son village de Qawawis à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Je m’appelle Khaled Al-Najjar et j’ai 69 ans. J’ai passé ma vie dans le village de Qawawis à Masafer Yatta, où je travaille avec ma famille pour cultiver la terre et s’occuper du bétail.
Notre vie à Masafer Yatta était routinière et calme jusqu’à ce que des colonies israéliennes ne commencent à se propager partout dans la région. Chaque nouvelle colonie a été suivie par des vagues de violence extrême, lorsque les colons essaient de nous empêcher de pâturer et de cultiver nos terres qui entourent leurs colonies. En 1998, l’avant-poste de Mitzpe Yair a commencé à être construit à quelques centaines de mètres de Qawawis. Même dans ces premiers jours, quand il n’y avait que quelques caravanes installées, l’armée israélienne et l’agent de sécurité de l’avant-poste travaillaient ensemble pour nous empêcher de pâturer sur notre terre.
En 2001, faire paître le bétail sur notre terre était devenu systématiquement dangereux. Le 9 janvier, lorsque je faisais paître mes moutons dans la vallée qui se trouve à environ 500 mètres de Mitzpe Yair, j’ai été victime de ce danger. La balle tirée par le colon est entrée dans mon bas-ventre, en déchirant mes intestins. Je suis resté à terre, encore conscient, jusqu’à ce que d’autres bergers qui étaient dans le coin ne se précipitent pour me porter sur leur âne vers la route la plus proche que l’ambulance pouvait rejoindre. Cela a pris deux heures, alors que je saignais et mes intestins sortaient de mon corps, avant que je ne sois dans une ambulance en route vers l’hôpital.
Pendant presque un an après que la balle du colon soit entrée dans mon corps, j’ai été hospitalisé dans le service de réanimation. Je suis passé d’hôpital en hôpital entre Beer Sheva, Bethléem et la Jordanie et enfin l’Irak, avant que les médecins n’arrivent à construire des canalisations en plastique dans mon corps pour remplacer mes intestins détruits.
Khaled Al-Najjar dans son village de Qawawis à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Cette balle a complètement changé ma vie. Pendant les vingt-et-une dernières années, j’ai été en souffrance constante nécessitant des examens médicaux réguliers, ainsi que le monitorage de mes intestins et reins. Je ne peux plus travailler avec la même force qu’avant, mais je n’ai pas le choix : je dois continuer. Mes enfants et petits-enfants comptent sur mon travail pour nourrir la famille.
Ma famille continue de risquer la vie tous les jours en faisant pâturer nos moutons, sachant que nous pouvons être les victimes d’attaques violentes à tout moment. Jusqu’à aujourd’hui, Mitzpe Yair continue de s’agrandir en nous arrachant de plus en plus de terres chaque année.
Mahmoud Awad
J’étais jeune lorsque le médecin m’a dit que mes organes ne fonctionnaient pas bien. « Votre corps fonctionne à 65 % », m’a-t-on dit. À l’âge de 32 ans, je souffrais de trois maladies chroniques et j’étais alité à cause de la douleur dans mon rein et des calcules biliaires.
Mahmoud Awad dans son village de Tuba à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Le 21 mars 2011, la douleur était devenue si insupportable que les médecins m’ont amené au bloc pour enlever ma vésicule biliaire. Ce matin-là, j’ai quitté le village de Tuba sur mon âne et me suis mis en route pour Yatta, la ville la plus proche, à 23 kilomètres de distance, où l’on peut avoir accès aux services médicaux.
Pendant la première moitié de ma vie, je me rendais à Yatta en empruntant une route de trois kilomètres, mais au début des années 2000, les colons de Ma’on ont commencé à construire une extension de leur colonie, un avant-poste illégal qu’ils ont baptisé Havat Ma’on. Les habitants de Tuba ont été officiellement interdits d’utiliser la route en 2002, lorsque mon frère Ali a été brutalement attaqué sur son tracteur alors qu’il se rendait à Yatta pour chercher de l’eau pour notre village. Depuis vingt ans, notre trajet vers Yatta est lent et dangereux, car nous empruntons les longues routes vallonnées autour de Havat Ma’on.
Cela faisait environ une heure que je grimpais les montagnes en direction de Yatta lorsque j’ai commencé à entendre des pas de course derrière moi. J’ai fait demi-tour avec mon âne juste à temps pour voir un colon masqué venir vers moi, un couteau à la main. Il a foncé sur ma poitrine ; je suppose qu’il visait mon cœur. Il m’a poignardé deux fois avant que je puisse m’enfuir. Je suis tombé à terre et j’ai crié à l’aide en direction du village voisin d’At-Tuwani.
Mahmoud Awad dans son village de Tuba à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Mon corps n’est pas comme celui d’un être humain normal : je souffre depuis que ma mère m’a mis au monde. Le couteau du colon a perforé mon poumon et l’hémorragie interne qui en a résulté m’a obligé à passer dix jours dans une unité de soins intensifs. Je pensais aller à l’hôpital ce jour-là pour soulager la douleur dans mon corps, mais au lieu de cela, il a fallu attendre cinq mois avant que mon corps soit suffisamment stable pour que les médecins procèdent à l’opération de ma vésicule biliaire. Il a fallu deux ans pour que je puisse à nouveau travailler.
Harun Abu Aram
Je m’appelle Harun Abu Aram. J’ai 25 ans et je vis dans un corps paralysé dans le village d’Al-Rakeez à Masafer Yatta. Le premier jour de l’année 2021, l’occupation israélienne a bouleversé ma vie.
Avant, j’étais un jeune homme énergique. J’aimais travailler dans le bâtiment et m’occuper du bétail de notre famille. J’étais fiancé et je prévoyais de me marier à l’âge de 24 ans. Fin 2020, j’avais économisé suffisamment d’argent pour construire une petite maison pour ma fiancée et moi. Mais deux semaines seulement après l’achèvement de la maison, l’armée israélienne est venue la démolir, ainsi que tout ce que j’avais travaillé si dur pour gagner.
Harun Abu Aram dans son village d'Al-Rakeez à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Début 2021, moins d’un mois après la démolition de ma maison, l’armée est revenue à Al-Rakeez pour confisquer un générateur électrique à mon voisin. C’était sa seule source d’électricité et il avait peur de la perdre. Je me tenais à ses côtés pour défendre le générateur et c’est là que ça s’est passé. L’un des soldats a sorti son arme et m’a tiré une balle dans la nuque.
La balle a traversé le haut de ma moelle épinière, paralysant immédiatement tout mon corps. Pendant quatre mois, je suis resté à l’hôpital Ahli d’Hébron. Tout ce dont mon corps avait besoin pour survivre était fourni par des machines ; j’étais relié à des tubes pour respirer et manger. Après ces mois, les médecins ont dit à ma mère : « Nous ne pouvons faire rien de plus pour Harun, préparez une chambre dans votre maison comme une chambre d’hôpital, achetez un respirateur et ramenez-le à la maison. ». Avant que je ne quitte l’hôpital, ma fiancée est venue signer les papiers du divorce et me dire au revoir.
Depuis novembre, je suis de retour à Al-Rakeez, vivant dans une grotte avec cinq membres de ma famille qui s’occupent de moi. Ici, mon corps et mon esprit continuent de s’effondrer. Les escarres qui couvrent mon dos et mes jambes grossissent de jour en jour.
Harun Abu Aram et sa mère dans leur village d'Al-Rakeez à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
J’évite de dormir la nuit à cause des cauchemars ; je ne peux m’empêcher de voir le visage du soldat chaque fois que je ferme les yeux. Il m’arrive souvent de réveiller ma famille au milieu de la nuit à cause de mes cris. Je souffre tellement, surtout quand j’ai froid, que j’ai l’impression d’avoir été frappé par la foudre. Cette douleur est devenue une routine quotidienne pour moi et ma famille. J’ai toujours rêvé d’avoir une famille à moi. D’élever plus de chèvres, de pouvoir travailler et de rendre la vie plus facile à mes parents. Mais aujourd’hui, mon frère de quatorze ans travaille dans le bâtiment pour nous aider à payer le coût de tous mes traitements. Tous ces rêves ont été brisés par une seule balle, et maintenant ma famille travaille juste pour me maintenir en vie.
Harun Abu Aram est décédé le 14 février 2023, à l’âge de 26 ans (ndlt).
Sami Hurraini
Ça a été un cauchemar. Tout s’est passé si vite. J’ai regardé vers le bas, ma chaussure s’était envolée et mon pied était bleu. Le bas de ma jambe était plié, la partie qui est censée être droite. Dès que j’ai vu cela, je suis tombé à terre. La douleur a été progressive, mais elle est devenue de plus en plus intense alors que j’attendais l’arrivée de l’ambulance depuis plus d’une heure. La police israélienne, que nous avons appelée immédiatement après que le colon m’a frappé, est restée là tout le temps, à regarder.
Sami Hurraini dans le village de Sarura à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Ce jour-là, le colon avait roulé autour de nous avec son quad toute l’après-midi alors que nous travaillions dans la grotte. C’était en mars 2018, j’avais vingt ans et j’aidais à restaurer le village de Sarura à Masafer Yatta. Les familles de Sarura avaient du mal à vivre sur leurs terres en raison d’une augmentation de la violence des colons. Avec mes frères et sœurs et mes amis nous avons créé un groupe d’activistes, Youth of Sumud, dans le but d’aménager un endroit dans le village pour que les familles puissent y vivre. Nous travaillions à Sarura depuis moins d’un an lorsque ce colon m’a renversé, me cassant la jambe à trois endroits.
Pendant des mois après l’attaque, je suis resté au lit, allongé sur le dos. Les médecins m’ont dit de ne pas bouger pour que l’os puisse guérir. Je suis de ceux qui aiment bouger. J’ai toujours été comme ça. Alors quand c’est arrivé et que je n’ai pas pu quitter mon lit, cela m’a vraiment perturbé psychologiquement. Je n’arrêtais pas de penser aux colons et au fait qu’ils n’avaient pas été punis. Qu’ils continueraient à sortir, libres, sans que personne ne les arrête.
Ayant grandi sous l’occupation, j’ai toujours su que les colons ne sont pas tenus pour responsables. Mais même ainsi, après avoir été la cible de leurs attaques, j’avais encore un petit espoir qu’ils ne s’en sortiraient pas, qu’il leur arriverait quelque chose pour ce qu’ils m’ont fait. Aujourd’hui, quatre ans plus tard, sans justice, cet espoir n’existe plus.
Sami Hurraini dans le village de Sarura à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Les cicatrices sur ma jambe ne me rappellent pas seulement le jour où j’ai été agressé. Elles marquent désormais toute la violence que ma communauté a subie.
En janvier 2021, Harun Abu Aram a reçu une balle dans le cou et, quelques jours plus tard, l’armée m’a arrêté pour avoir participé à des manifestations visant à réclamer justice pour lui. Nous avons déposé une plainte auprès de la police contre le colon, mais le dossier a été classé avant d’arriver au tribunal. Lorsque nos avocats ont tenté de le rouvrir, il a de nouveau été classé, sous prétexte qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves, alors que tout l’incident a été filmé.
Pour moi, ces incidents sont liés à mes cicatrices - tout cela fait partie du même système violent qui a détruit ma jambe. Parfois, je peux presque oublier toutes les choses que nous vivons chaque jour. Mais cette cicatrice est un rappel permanent.
Mohammed Makhamreh
Avant j’étais un jeune homme très énergique et en bonne santé. En tant que fils unique de ma famille, j’avais la lourde responsabilité de travailler dur et d’aider ma famille à vivre sur nos terres. En tant que communauté de bergers et d’agriculteurs, nos moyens de subsistance sont presque entièrement axés sur une activité physique intense. Mais aujourd’hui, tout ce travail physique n’est qu’une source de stress pour ma famille et moi, depuis que l’armée israélienne m’a arraché la main.
Mohammed Makhamreh chez lui à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Le 8 janvier 2021, je donnais à manger à nos moutons et me préparais à me rendre à Yatta pour retrouver mon père. Alors que j’amenais le troupeau dans l’étable, j’ai trébuché sur quelque chose et je suis tombé. Ce dont je me souviens ensuite, c’est de m’être réveillé à l’hôpital, couvert de blessures. J’avais déjà été opéré de la poitrine et de la jambe, et lorsque j’ai regardé mon corps, j’ai réalisé que je n’avais plus de main droite.
J’ai appris plus tard que ce jour-là j’étais tombé sur une grenade non explosée. L’armée, qui utilise mon village pour ses entraînements, laisse parfois des armes sur le terrain. J’ai eu la chance que mon voisin soit assez proche pour entendre la grenade exploser et qu’il ait pu demander de l’aide et m’emmener d’urgence à l’hôpital. S’il n’avait pas été là, je pense vraiment que je serais mort ce jour-là.
L’armée israélienne a déclaré la terre de ma famille « zone d’entraînement militaire » bien avant ma naissance. Toute ma vie, ils ont entraîné leurs soldats à l’intérieur de notre village. Ils tirent dans nos champs, à un peu plus de cent mètres de nos maisons. Ils conduisent des chars au-dessus de nos grottes et de nos champs de blé, laissant nos récoltes endommagées. Cette fois, ils ont laissé une arme non explosée qui a changé ma vie à jamais.
Mohammed Makhamreh chez lui à Masafer Yatta, en Cisjordanie. Photo : Emily Glick
Maintenant que je vis avec une seule main, tout le travail que j’appréciais auparavant n’est plus qu’une source de stress et provoque en moi un sentiment d’impuissance. Nous devons demander aux voisins de nous aider pour tous les travaux qui nécessitent deux mains, comme la tonte de la laine de nos moutons à l’arrivée de l’été. Mais le pire, c’est la pression psychologique que je ressens chaque jour, alors que j’essaie de vivre ma vie et de subvenir aux besoins de ma famille avec une main en moins.
Mohammed Hamamda (raconté par Sohaib Hamamda)
Nous étions tous blottis les uns contre les autres, vingt-quatre personnes dans une pièce se cachant de la nuée de colons qui se précipitaient vers notre village et détruisaient tout ce qu’ils voyaient. C’est alors que j’ai remarqué que Mohammed n’était pas avec nous. Je me suis précipité dans la chambre où nous l’avions mis à dormir et il était là, allongé sur son matelas, inconscient dans une mare de sang.
Mohammed Hamamda dans son village de Mufagara, Masafer Yatta. Photo : Emily Glick
Je m’appelle Sohaib Hamamda et j’ai 24 ans. En septembre dernier, j’ai porté Mohammed, mon neveu de quatre ans, jusqu’à l’ambulance au bout de notre route lors d’une attaque de colons dans mon village, Al-Mufaqara.
Les colons lui avaient fracturé le crâne alors qu’il dormait dans son lit, avec une grosse pierre qu’ils avaient jetée par la fenêtre. Pendant que je le portais, les colons ont brisé les parebrises de nos tracteurs, percé nos réservoirs d’eau avec des couteaux, retourné nos voitures et jeté des pierres sur nos panneaux solaires. Pendant tout ce temps, l’armée est restée sur place et nous a aspergés de gaz lacrymogène, nous les Palestiniens.
Les jeunes colons de Havat Ma’on et d’Avigayil ont fait cela à Mohammed le 28 septembre 2021, alors qu’ils célébraient la fête juive de Simhat Torah. Ce jour-là, ils sont d’abord entrés dans notre village en dansant et en chantant, puis ils ont commencé à bouleverser violemment nos vies. Cette journée a été un cauchemar pour nous tous, mais les cicatrices que Mohammed a sur la tête l’affecteront pour le reste de sa vie.
Mohammed Hamamda dans son village de Mufagara, Masafer Yatta. Photo : Emily Glick
Aujourd’hui, Mohammed ne peut plus jouer comme avant avec ses amis du village. Courir et sauter ce sont des activités qui lui procurent des maux de tête et il a rapidement des vertiges. Nous l’emmenons régulièrement à l’hôpital pour qu’il fasse des examens, car on ne sait toujours pas quels seront les effets à long terme de sa fracture du crâne et de l’hémorragie interne dont il a souffert ce jour-là.